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"Comment
justifier la véracité de tout ce que je raconte ? C'est
difficile mais c'est un pacte que je signe avec le lecteur. Je ne lui
raconte pas n'importe quoi."
Entretien
avec Raharimanana
Dídac P. Lagarriga (décembre 2005) .
Merci à Voahirana Barnoud-Razakamanantsoa
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Raharimanana, né le 26 juin 1967, réside à Madagascar
jusqu'à l'âge de vingt-deux ans. Il arrive en France en
1989. Professeur et journaliste pigiste, il collabore à de nombreuses
manifestations littéraries et pédagogiques. En 2002, il
quitte l'enseigement, notamment pour défendre son père.
Tout d'abord j'aimerais vous demander des nouvelles de votre père.
Comment va-t-il ? Est-il encore en exil ? J'espère qu'il n'a
pas cessé ses activités...
Mon père se porte bien et se trouve actuellement en France. Forcément,
ses activités ont ralenti du fait de son exil.
Vous êtes le responsable du recueil Dernières nouvelles
de la Françafrique. Pouvez-vous nous parler du projet, comment
il a commencé, comment avez-vous choisi les auteurs, quelles
ont été les réactions...
Le projet a pris naissance lors de mes collaborations avec Soeuf Elbadawi,
écrivain et journaliste comorien. Après l'organisation
de multiples débats et expositions autour de la littérature
africaine, nous avons pensé qu'il fallait que les africains prennent
eux-mêmes la parole pour dénoncer cette " Françafrique
" qui minait la vie du continent : comment des dirigeants africains
se faisaient complices du pillage de leurs pays, comment les grandes
puissances se laissaient faire ou organisaient même la corruption
au profit des grandes entreprises internationales... Nous avons contacté
un certain nombre d'auteurs. Il n'y a pas eu véritablement de
sélection mais, au fur et à mesure, les écrivains
nous ont rejoint en donnant leurs textes.
Existe -t-il vraiment une nouvelle génération d'écrivains
africains plus engagés ?
Je pense que oui, même s'il faut revoir la notion d'engagement.
Ces auteurs refusent le militantisme politique car ils connaissent le
piège extrême de la politique africaine. Le système
est tel que même le plus honnête des individus risque de
se corrompre au contact de la politique africaine. C'est le système
qu'il faudrait changer. Toutes ces complicités des puissances,
aussi bien locales qu'étrangères, favorisent la corruption,
l'exploitation du continent, amènent la pauvreté. Cet
engagement passe également par une écriture plus libre,
qui ne dénonce pas seulement les régimes politiques africains,
mais remet en cause une situation plus profonde : une histoire mal assumée,
une mémoire falsifiée, des populations tenues dans l'ignorance,
etc. Ce n'est pas un engagement tonitruant ni des prises de parole médiatiques
importantes, mais plutôt un travail de fond qui incite les lecteurs
africains à s'engager eux-mêmes. Recentrer ainsi les capacités
de l'écrivain sur l'écriture et non sur la politique.
Toutefois, cet engagement des écrivains africains est relatif
et marginal encore. Beaucoup ont encore en mémoire les difficultés
de leurs aînés et hésitent. Beaucoup préfèrent
également être seulement considérés comme
simples écrivains et non comme " porte-parole " de
l'Afrique.
Être
en l'exil (par exemple à Paris) facilite-t-il l'engagement ?
Oui, car il y a plus de recul, plus de pouvoir d'analyse. On est aussi
moins pris dans les jeux de pouvoir et les pressions qui en découlent.
On en retire également plus de moyens pour développer
un réseau de solidarité.
Non, car notre action ne trouve pas toujours des possibilités
d'enracinement dans la réalité. Il faut alors à
ce moment-là savoir s'entourer d'amis et d'associations qui travaillent
sur place. Ce n'est pas toujours évident, car cela veut dire
que ces amis et associations prendront le risque à votre place.
Vous êtes en sécurité en France, eux ne le sont
pas au pays.
Pouvez-vous
nous citer quelques jeunes écrivains que vous considérez
intéressants ?
Je ne veux pas porter un jugement de valeur sur le travail des uns et
des autres. Mais disons tout simplement que j'ai des compagnons de route,
qui ont commencé à publier en même temps que moi.
Je pense notamment à Abdourahman Waberi, Alain Mabanckou, Kossi
Effoui, Kagni Alem, Gaston Paul Effa
Je suis très attentif
à leurs uvres car ils reflètent aussi mes propres
préoccupations.
Avez-vous des ouvrages en malgache ? Est-il possible de constituer
une véritable édition au-delà du français,
anglais...
J'ai un recueil de poèmes et une pièce de théâtre
en malgache. Je continue d'écrire dans cette langue. Il est possible
de constituer une véritable édition au-delà du
français et de l'anglais mais encore faut-il que les autorités
africaines jouent le jeu. Ce qui n'est pas le cas actuellement. Au contraire,
ces autorités ne veulent pas d'une édition africaine.
L'édition, c'est aussi une question économique, il faudrait
des mesures politiques pour que ça se mette en marche. Il peut
toujours y avoir une ou deux maisons indépendantes qui défient
tout ça. L'aventure peut leur sourire pendant quelques années
mais au bout du compte, il y aura échec tant qu'une politique
culturelle basée sur l'économie n'est pas instaurée.
Et
par rapport à l'édition en France... Avez-vous des facilités
ou souffert de censure? L'Arbre anthropophage est chez Joëlle
Losfeld (Gallimard) mais Dernières nouvelles de la Françafrique
est sorti dans une maison d'édition plus engagée et indépendante,
Vent d'ailleurs. Comment choisissez-vous la maison d'édition?
Pensez vous que la coédition est l'avenir de la publication en
Afrique?
Je n'ai jamais eu de difficultés d'édition en France.
Aucune censure. La censure, je l'ai rencontrée à Madagascar,
pas en France. Dernières nouvelles de la Françafrique
est chez Vent d'ailleurs car cet éditeur a été
enthousiasmé par le projet et a accepté l'idée
de la coédition avec une maison africaine. Nous voulions que
le livre soit moins cher et qu'il soit présent dans différents
pays d'Afrique. Vents d'ailleurs est connu également pour son
engagement et son indépendance. Nous nous sommes rencontrés
au bon moment. La coédition n'est pas l'avenir de la publication
en Afrique, car dans les formes actuelles de la coédition, tout
se fait en France ou dans les pays occidentaux. Les éditeurs
africains n'ont plus qu'à " distribuer " le livre.
La coédition permet de pallier immédiatement aux déficits
de livres actuels en Afrique mais elle ne résout pas les véritables
problèmes. Il faut que l'Afrique puisse réellement adopter
une politique culturelle qui place l'édition au centre de ses
préoccupations, que de véritables maisons renaissent et
fassent un travail durable. La coédition n'est qu'une autre forme
de la solidarité, ce n'est qu'une partie du travail de l'éditeur.
Chaque éditeur doit avoir son catalogue. La coédition
ne peut pas faire vivre longtemps une maison d'édition.
Une
curiosité : que pensez-vous d'Ahmadou Kourouma?
Je ne connais pas réellement son engagement politique sur place.
Je ne peux que donner mon avis sur son écriture. Il a su à
chaque livre montrer clairement l'avenir immédiat de son pays
et du continent. Dans Le Soleil des Indépendances, alors que
tout le monde chantait l'indépendance, lui pointait du doigt
les difficultés qui nous attendaient forcément. On ne
l'a pas écouté. Quelques années plus tard, on lui
donnait raison. Il montrait dans En attendant le vote des bêtes
sauvages combien les autorités africaines ont simplement changé
de discours pour contenter l'opinion internationale mais que dans les
faits, rien n'a changé. Au contraire, le cynisme devenait plus
aigu encore. On vote pour mieux massacrer ensuite. Et l'opinion internationale
se tait car il y a eu " vote ", donc " démocratie
". Je simplifie mais globalement, ce qui m'impressionne, c'est
cette capacité qu'il a de s'inscrire précisément
dans le présent, de démonter et de démontrer le
mécanisme qui nous amène au chaos. C'est le cas de son
livre posthume Quand on refuse, on dit non. La Côte d'Ivoire n'était
pas encore dans cette situation quand il a fini le livre ; le livre
à peine publié, la réalité a rejoint la
fiction. C'est quelqu'un de très lucide. Et qui en rit
Dans l'ouvrage L'arbre anthropophage, avez-vous eu peur de vous
servir des événements comme l'affaire de votre père
pour écrire ?
Bien sûr. Où est la frontière entre la pudeur et
la transcription, le témoignage et la douleur d'une famille ?
J'aurai aimé que tout cela reste de la fiction et ne soit pas
la réalité. Il y a aussi le fait que je suis un "
inventeur d'histoires ", c'est mon métier. Comment justifier
la véracité de tout ce que je raconte ? C'est difficile
mais c'est un pacte que je signe avec le lecteur. Je ne lui raconte
pas n'importe quoi.
Je voudrais vous demander si vous souhaitez retourner à Madagascar
dans un avenir prochain et si vous vous imaginez réalisant, là-bas,
le même métier d'écrivain... Est-ce le choix d'écrire
qui interdit le retour ?
Je ne m'imagine pas vivre à Madagascar dans l'immédiat
car la situation politique ne me le permet pas. Je ne suis pas interdit
de séjour dans mon pays mais la situation politique est telle
qu'il me semble irréaliste de m'y installer. La pression politique
s'exerce trop fortement sur les artistes, poussés à l'auto-censure
et au consensus intellectuel. Je ne pourrai pas supporter cela, du moins
pour l'instant. La seconde raison est qu'au niveau culturel, il y a
peu d'espace où l'on puisse s'exprimer : je n'ai pas envie de
passer mon temps à mendier auprès du centre culturel français
ou auprès des ambassades étrangères pour développer
un projet (publication d'un livre ou création théâtrale).
Je ne pourrai envisager le retour qu'avec un projet concret : créer
justement ces espaces d'expression (un centre culturel ou un théâtre
par exemple). Je ne perds pas l'espoir d'y retourner. J'y travaille
en fait. Je ne me vois pas non plus finir ma vie en dehors de l'île,
d'autant plus que je n'ai pas de difficultés pour publier mes
oeuvres.
Pouvez
vous nous raconter vos nouveaux projets ?
Écrire. Toujours écrire.
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Bibliographie:
Lucarne,
Le Serpent à Plumes, 1996
Le puits, Actes Sud, 1997
Rêves sous le linceul, Le Serpent à Plumes, 1998
Landisoa et les trois cailloux, Édicef/Tsipika, 2000
Nour, 1947, Le Serpent à Plumes, 2001
Dernières nouvelles de la Françafrique, (colectivo),
Vent d'ailleurs, 2003
L'arbre anthropophague, Editions Joelle Losfeld, 2004
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oozebap . décembre 2005
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